--« Léooooo ! » m'appela ma mère du rez-de-chaussée « Descends tout de suite s'il te plait ! » « J'arrive ! » répondis-je en descendant les deux étages qui me séparaient d'elle. « Oui ? » demandai-je. Son air ne valait rien qui vaille ... Elle avait l'air énervé, ce n'était pas bon signe pour moi ... « Ce sont quoi ces notes ? Tu te fou de nous ou quoi ? » « Mais je ... » commençai-je « Il n'y a pas de 'mais' qui tiennent ! Si tu continues comme ça, tu sais ce qu'il va t'arriver ! Donc tu as intérêt de te mettre au boulot immédiatement ! Sinon plus de sortie, plus d'amie, plus de copain et tu vas en pension en Arizona ! » « Hors de question ! » Répliquai-je « Alors tu vas te mettre au boulot tout de suite et selon ton prochain bulletin, on verra ce que l'on fera de toi ! » Je remontai en ronchonnant. Hors de question que j'aille en Arizona, avec une telle chaleur insupportable ! Je suis très bien dans le froid de Chicago !
--Si j'avais su que c'était la dernière fois que ma mère m'embêtait avec mes sales notes, j'en aurais presque sauté de joie ... Mais maintenant, connaissant les circonstances, je n'ai plus trop envie de sauter de joie ... J'aurais même envie que ma mère m'engueule une bonne fois pour toute pour les notes que je continue de ramener à la maison. Mais pour cela, il faudrait déjà que mes parents prennent la peine de les regarder ...
--Aujourd'hui, n'importait plus que l'argent. Il faut payer ça, ça, ça. Combien est-ce qu'il nous reste pour manger ? A peine s'ils se rendaient compte qu'ils avaient une fille ... LEO ! Viens ! On a besoin de toi ! Ah si... Ca, ça voulait dire qu'il fallait que j'enfile mes vêtements 'spéciaux', comme je les appelais. Des vêtements horribles, troués et rapiécés par endroits, d'une saleté immonde. Mon rôle ? Aller faire la manche et rapporter un peu d'argent pour avoir de quoi manger. Ma 'gueule d'ange' réussissait à amadouer les gens, donc j'arrivais à ramener un peu d'argent à la maison.
--Aujourd'hui, j'ai 18 ans et l'enfant qui amadoue les gens avec son joli visage a disparue. Mon visage s'est endurcie, ma carrure est devenue plus carrée et mon sale air ne donnait plus envie aux gens de m'aider. La vie dans la cité m'avait obligé à m'affirmer, à savoir me battre et surtout à cacher mes émotions. Pleurer comme une fillette car on m'a volé ci ou cassé ça, c'est finis. La cité, c'est la jungle, et je fais maintenant partie des bêtes féroces.
--Je m'étais fait des amis. Ou plutôt devrais-je dire des connaissances. Un groupe où on devait s'entraider quand l'un ou l'autre avait des problèmes avec un autre groupe. Seul, sans ces groupes, ou clans, on ne pouvait survivre. J'ai pourtant mis beaucoup de temps à le comprendre quand je suis arrivée ici. Je ne voulais pas être amie avec ces gens qui étaient si différents de moi, ces gens pauvres. Mais avec les temps, j'ai finis par comprendre que je n'étais pas si différente d'eux. Je ne voulais juste pas admettre que ma vie de princesse était terminée. L'école privée, les beaux habits, mes amis, tout. Je n'avais plus rien. Plus rien sauf ce clan.
--J'avais beaucoup changé en quatre ans. Autant physiquement que psychologiquement. Mon visage n'exprimait plus rien. J'étais fermée à toute émotion, plus rien ne me touchait. Les épreuves que j'ai endurées m'ont forgées un caractère de glace. Aussi froide que de la glace, c'est exactement ça. Les émotions qui me submergent, c'est du passé. Plus rien ne passait, ça me fonce dessus, mais rebondit et repart de suite vers l'envoyeur. Plus rien. Cette facilité à répondre aux attaques avait d'ailleurs tendance à intriguer autant les personnes de mon clan que les gens que j'avais en face de moi.
--« Léo ! » s'écria ma mère quand je franchis la porte d'entrée de l'appartement « Il est 2h du matin ! Où étais-tu encore ?! » « Tu veux vraiment l'savoir ? » Je n'eus pour seule réponse que le silence. Je ricanai. « Mais qui es-tu ... » murmura ma mère « Où est passée ma si gentille et jolie fille ? » « Elle est morte. » Mon ton sec lui fit monter les larmes aux yeux « Tu vas quand même pas pleurer ! C'est de votre faute, à papa et toi après tout ! C'est de votre faute si on en ait arrivé là ! De votre faute si on vit dans un appartement miteux ! De votre faute ! TOUT ! » Ses larmes coulaient à flot et l'empêchaient de se justifier « Et puis, qui es-tu pour parler de moi comme ta fille ? Depuis 4 ans que je vis comme si j'étais seule, que je me débrouille pour manger, pour m'habiller ! Quatre ans que papa enchaine petit boulot sur petit boulot et passe le reste de son temps à me frapper ! Quatre ans que je te retrouve ivre morte sur le canapé, tout les soirs en rentrant ! Tu n'es plus ma mère ! Il n'est plus mon père ! Ce ne sont plus que des titres sans aucunes significations ! »
--Ce soir-là était l'un des rares où j'avais la chance de trouver ma mère sobre. Mais chaque fois c'était la même chose, je lui fous la réalité de la vie devant les yeux et elle finit par ouvrir une énième bouteille d'alcool. Si j'avais eu une porte, je l'aurais claquée. Mais seul un rideau séparait le salon de la pièce qui me servait de chambre. Je tirai donc violement le rideau de ma chambre. Seulement, des pas lourds s'approchèrent. Ce que je craignais allait arriver. « C'est quoi c'boucan ?! Comment veux-tu que j'dorme avec ta mère qui hurle à la mort ! Qu'est-ce que tu lui as encore fait ? SALE GOSSE ! » Son air ne valait rien vaille. Je plaquais contre le mur, comme si j'allais ainsi pouvoir me protéger. Mon père était la seule personne que je craignais ici, dans la cité. Son mètre 95 et sa tonne de muscle avaient tendance à réussir à me faire fermer mon clapet.
--Il m'attrapa par les cheveux et me tira vers le sol. J'eus l'impression de sentir plusieurs mèches de ma tignasse s'arracher de mon crâne. Je me recroquevillai en chien de fusil, ma tête enfuie sous mes bras. Puis les coups commencèrent. Un coup dans mes bras me fit sortir ma tête de ma cachette et détendre mes genoux. Un autre coup lancinant dans mes côtes me fit hurler et me tordre de douleur. « Ta gueule ! » hurla-t-il, déchaîné « Ta gueule sale gosse ! » Il s'abaissa et attrapa de nouveau mes cheveux, mais cette fois-ci, c'était pour me cogner la tête contre le sol à plusieurs reprises pour me faire taire. « Tu vas te taire oui ?! Ferme ta grande gueule ! » J'avais l'impression que mon crâne allait littéralement exploser, mais je la fermais du mieux que je pu. Il se releva et recommença à me frapper. Je me tordais dans tout les sens et hurlais intérieurement. Puis il s'arrêta et rattrapa mes cheveux pour me relever « J'espère que t'as compris. Continue de parler comme ça à ta mère et c'est ta tombe que je laverai au cimetière ! » Puis il me repoussa et je tombai au sol dans un dernier souffle.